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Du Bellay, Les Antiquités de Rome (2)
Dans l'extrait qui suit, Du Bellay exprime le souhait suivant: posséder la harpe d'Orphée, ou, à défaut, devenir un nouveau Virgile, pour ressusciter par la plume les "palais" de Rome, en surpassant son modèle. Texte qui éclaire l'intention de Du Bellay: imiter, et peut-être dépasser le modèle antique.
Mais en allant plus loin, il s'agit aussi d'une réflexion sur les pouvoirs de la parole poétique: le jeu des allusions mythologiques est ici éclairant. D'après les mythes, Orphée passait pour capable d'entraîner les animaux par son chant. Il a même pu ensorceler le terrible chien Cerbère qui garde l'entrée des Enfers, en allant y chercher son épouse Eurydice. Quant à Amphion, on lui prêtait les mêmes pouvoirs qu'au précédent. Les légendes racontent qu'il a pu, grâce à son chant, déplacer les pierres et ainsi bâtir les remparts de la ville de Thèbes. L'allusion à Amphion ici est pleinement signifiante: et si Du Bellay, à son tour, pouvait relever les murs de l'antique Rome? Quant à la comparaison à Orphée, peut-être s'explique-t-elle par le fait que les chants de celui-ci lui ont permis de braver le dieu des morts... La parole poétique serait ainsi un rempart (sans jeu de mot!) contre le néant et l'oubli...
Que n'ai-je encor la harpe thracienne(*),
Pour réveiller de l'enfer paresseux
Ces vieux Césars, et les ombres de ceux
Qui ont bâti cette ville ancienne ?
Ou que je n'ai celle amphionienne,
Pour animer d'un accord plus heureux
De ces vieux murs les ossements pierreux,
Et restaurer la gloire ausonienne ?
Pussé-je au moins d'un pinceau plus agile
Sur le patron de quelque grand Virgile
De ces palais les portraits façonner :
J'entreprendrais, vu l'ardeur qui m'allume,
De rebâtir au compas de la plume
Ce que les mains ne peuvent maçonner.(*) Orphée était originaire de la région de Thrace, contrée au nord de la Grèce.
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