• le lyrisme romantique

    La poésie romantique accorde une large place à l'expression des sentiments: douleur de la perte, interrogations métaphysique, mélancolie devant la fuite du temps... Voici quelques poèmes permettant d'appréhender cette composante du romantisme.

     

    El Desdichado

    Je suis le Ténébreux, - le Veuf, - l'Inconsolé,

    Le Prince d'Aquitaine à la Tour abolie :

    Ma seule Étoile est morte, - et mon luth constellé

    Porte le Soleil noir de la Mélancolie.

     

    Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m'as consolé,

    Rends-moi le Pausilippe et la mer d'Italie,

    La fleur qui plaisait tant à mon coeur désolé,

    Et la treille où le Pampre à la Rose s'allie.

     

    Suis-je Amour ou Phoebus ?... Lusignan ou Biron ?

    Mon front est rouge encor du baiser de la Reine ;

    J'ai rêvé dans la Grotte où nage la Sirène...

     

    Et j'ai deux fois vainqueur traversé l'Achéron :

    Modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée

    Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée.

    Gérard de Nerval, Les Chimères, 1854

     

     

    Tristesse

    J'ai perdu ma force et ma vie,

    Et mes amis et ma gaieté;

    J'ai perdu jusqu'à la fierté

    Qui faisait croire à mon génie.

     

    Quand j'ai connu la Vérité,

    J'ai cru que c'était une amie ;

    Quand je l'ai comprise et sentie,

    J'en étais déjà dégoûté.

     

    Et pourtant elle est éternelle,

    Et ceux qui se sont passés d'elle

    Ici-bas ont tout ignoré.

     

    Dieu parle, il faut qu'on lui réponde.

    Le seul bien qui me reste au monde

    Est d'avoir quelquefois pleuré.

    Alfred de Musset, Poésies Nouvelles, 1850

     

     

    Exil

    Si je pouvais voir, ô patrie, 

    Tes amandiers et tes lilas, 

    Et fouler ton herbe fleurie, 

    Hélas !

     

    Si je pouvais, - mais, ô mon père, 

    O ma mère, je ne peux pas, -

    Prendre pour chevet votre pierre, 

    Hélas !

     

    Dans le froid cercueil qui vous gêne, 

    Si je pouvais vous parler bas, 

    Mon frère Abel, mon frère Eugène, 

    Hélas !

     

    Si je pouvais, ô ma colombe, 

    Et toi, mère, qui t'envolas, 

    M'agenouiller sur votre tombe, 

    Hélas !

     

    Oh ! vers l'étoile solitaire,

    Comme je lèverais les bras !

    Comme je baiserais la terre,

    Hélas !

     

    Loin de vous, ô morts que je pleure, 

    Des flots noirs j'écoute le glas ; 

    Je voudrais fuir, mais je demeure, 

    Hélas !

     

    Pourtant le sort, caché dans l'ombre, 

    Se trompe si, comptant mes pas, 

    Il croit que le vieux marcheur sombre 

    Est las.

    Victor Hugo, Les quatre vents de l'esprit, 1881

     

    L'isolement

    Souvent sur la montagne, à l’ombre du vieux chêne,

    Au coucher du soleil, tristement je m’assieds ;

    Je promène au hasard mes regards sur la plaine,

    Dont le tableau changeant se déroule à mes pieds.

     

    Ici gronde le fleuve aux vagues écumantes ;

    Il serpente et s’enfonce en un lointain obscur ;

    Là, le lac immobile étend ses eaux dormantes

    Où l’étoile du soir se lève dans l’azur.

     

    Au sommet de ces monts couronnés de bois sombres

    Le crépuscule encor jette un dernier rayon ;

    Et le char vaporeux de la reine des ombres

    Monte et blanchit déjà les bords de l’horizon.

     

    Cependant, s’élançant de la flèche gothique,

    Un son religieux se répand dans les airs :

    Le voyageur s’arrête, et la cloche rustique

    Aux derniers bruits du jour mêle de saints concerts.

     

    Mais à ces doux tableaux mon âme indifférente

    N’éprouve devant eux ni charme ni transports ;

    Je contemple la terre ainsi qu’une âme errante :

    Le soleil des vivants n’échauffe plus les morts.

     

    De colline en colline en vain portant ma vue,

    Du sud à l’aquilon, de l’aurore au couchant,

    Je parcours tous les points de l’immense étendue,

    Et je dis : Nulle part le bonheur ne m’attend.

     

    Que me font ces vallons, ces palais, ces chaumières,

    Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?

    Fleuves, rochers, forêts, solitudes si chères,

    Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé !

     

    Quand le tour du soleil ou commence ou s’achève,

    D’un œil indifférent je le suis dans son cours ;

    En un ciel sombre ou pur qu’il se couche ou se lève,

    Qu’importe le soleil ? je n’attends rien des jours.

     

    Quand je pourrais le suivre en sa vaste carrière,

    Mes yeux verraient partout le vide et les déserts ;

    Je ne désire rien de tout ce qu’il éclaire ;

    Je ne demande rien à l’immense univers.

     

    Mais peut-être au delà des bornes de sa sphère,

    Lieux où le vrai soleil éclaire d’autres cieux,

    Si je pouvais laisser ma dépouille à la terre,

    Ce que j’ai tant rêvé paraîtrait à mes yeux !

     

    Là, je m’enivrerais à la source où j’aspire ;

    Là, je retrouverais et l’espoir et l’amour,

    Et ce bien idéal que toute âme désire,

    Et qui n’a pas de nom au terrestre séjour !

     

    Que ne puis-je, porté sur le char de l’aurore,

    Vague objet de mes vœux, m’élancer jusqu’à toi !

    Sur la terre d’exil pourquoi resté-je encore ?

    Il n’est rien de commun entre la terre et moi.

     

    Quand la feuille des bois tombe dans la prairie,

    Le vent du soir s’élève et l’arrache aux vallons ;

    Et moi, je suis semblable à la feuille flétrie :

    Emportez-moi comme elle, orageux aquilons !

    Alphonse de Lamartine, Les méditations poétiques, 1820

     

     

    À quoi je songe ? — Hélas ! loin du toit où vous êtes,

    Enfants, je songe à vous ! à vous, mes jeunes têtes,

    Espoir de mon été déjà penchant et mûr,

    Rameaux dont, tous les ans, l’ombre croît sur mon mur,

    Douces âmes à peine au jour épanouies,

    Des rayons de votre aube encor tout éblouies !

    Je songe aux deux petits qui pleurent en riant,

    Et qui font gazouiller sur le seuil verdoyant,

    Comme deux jeunes fleurs qui se heurtent entre elles,

    Leurs jeux charmants mêlés de charmantes querelles !

    Et puis, père inquiet, je rêve aux deux aînés

    Qui s’avancent déjà de plus de flot baignés,

    Laissant pencher parfois leur tête encor naïve,

    L’un déjà curieux, l’autre déjà pensive !

     

    Seul et triste au milieu des chants des matelots,

    Le soir, sous la falaise, à cette heure où les flots,

    S’ouvrant et se fermant comme autant de narines,

    Mêlent au vent des cieux mille haleines marines,

    Où l’on entend dans l’air d’ineffables échos

    Qui viennent de la terre ou qui viennent des eaux,

    Ainsi je songe ! — à vous, enfants, maisons, famille,

    A la table qui rit, au foyer qui pétille,

    A tous les soins pieux que répandent sur vous

    Votre mère si tendre et votre aïeul si doux !

    Et tandis qu’à mes pieds s’étend, couvert de voiles,

    Le limpide océan, ce miroir des étoiles,

    Tandis que les nochers laissent errer leurs yeux

    De l’infini des mers à l’infini des cieux,

    Moi, rêvant à vous seuls, je contemple et je sonde

    L’amour que j’ai pour vous dans mon âme profonde,

    Amour doux et puissant qui toujours m’est resté.

    Et cette grande mer est petite à côté !

    Victor Hugo, Les Voix intérieures, 1837


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