• Rêve / Objets... (2)

    Un classique du cinéma d'animation: Fantasia de Walt Disney, 1940. Mickey est un apprenti sorcier. En l'absence de son maître, il anime un balai auquel il confie le soin d'effectuer les tâches qui lui incombent... Il s'endort, se met à rêver... Et le balai échappe à son contrôle. Il faudra le retour du mage pour rétablir l'ordre.

    Fantasia... à lui seul le titre est un programme: le grec "phantasia" signifie "faculté de concevoir des images". On peut rapprocher le terme de "phantasma" (songe, apparition, rêve, fantôme, spectre...). Tout le film se présente donc comme une rêverie, une suite d'images qui naissent d'une partition de la musique classique. Cet extrait prend appui sur une partition du compositeur Paul Dukas, un poème symphonique intitulé L'apprenti sorcier , lequel poème symphonique est une transposition du poème de l'Allemand Johann Wolfgang von Goethe, "L'apprenti sorcier", dont voici la traduction par Gérard de Nerval:

    Le vieux maître est enfin sorti, et je prétends que ses génies fassent aussi ma volonté. J’ai bien remarqué les signes et les paroles qu’il emploie, et j’aurai bien la hardiesse de faire comme lui des miracles.

    « Allons ! allons ! vite à l’ouvrage : que l’eau coule dans ce bassin, et qu’on me l’emplisse jusqu’aux bords !

    « Approche donc, vieux balai : prends-moi ces haillons ; depuis longtemps, tu es fait au service, et tu te soumettras aisément à devenir mon valet. Tiens-toi debout sur deux jambes, lève la tête, et va vite, va donc ! me chercher de l’eau dans ce vase.

    « Allons ! allons ! vite à l’ouvrage : que l’eau coule dans ce bassin, et qu’on me l’emplisse jusqu’aux bords ! »

    Tiens ! le voilà qui court au rivage !… Vraiment, il est au bord de l’eau !… Et puis il revient accomplir mon ordre avec la vitesse de l’éclair !… Une seconde fois ! Comme le bassin se remplit ! comme les vases vont et viennent bien sans répandre !

    « Attends donc ! attends donc ! ta tâche est accomplie ! » Hélas ! mon Dieu ! mon Dieu !… j’ai oublié les paroles magiques !

    Ah ! ce mot, il était à la fin, je crois ; mais quel était-il ? Le voilà qui revient de nouveau ! « Cesseras-tu, vieux balai ?… » Toujours de nouvelle eau qu’il apporte plus vite encore !… Hélas ! quelle inondation me menace !

    Non, je ne puis plus y tenir… Il faut que je l’arrête… Ah ! l’effroi me gagne !… Mais quel geste, quel regard me faut-il employer ?

    « Envoyé de l’enfer, veux-tu donc noyer toute la maison ? Ne vois-tu pas que l’eau se répand partout à grands flots ? » Un imbécile de balai qui ne comprend rien ! « Mais, bâton que tu es, demeure donc en repos !

    « Tu ne veux pas t’arrêter, à la fin !… Je vais, pour t’apprendre, saisir une hache, et te fendre en deux ! »  

    Voyez-vous qu’il y revient encore ! « Comme je vais me jeter sur toi, et te faire tenir tranquille !… » Oh ! oh ! ce vieux bâton se fend en craquant !… C’est vraiment bien fait : le voici en deux, et, maintenant, je puis espérer qu’il me laissera tranquille.

    Mon Dieu ! mon Dieu ! les deux morceaux se transforment en valets droits et agiles !… Au secours, puissance divine !

    Comme ils courent ! Salle, escaliers, tout est submergé ! Quelle inondation !… Ô mon seigneur et maître, venez donc à mon aide !… Ah ! le voilà qui vient ! « Maître, sauvez-moi du danger : j’ai osé évoquer vos esprits, et je ne puis plus les retenir.

    — Balai ! balai ! à ton coin ! et vous, esprits, n’obéissez désormais qu’au maître habile, qui vous fait servir à ses vastes desseins. »

    Notons que Disney ajoute une idée au poème: celle du rêve auquel l'apprenti croit pouvoir s'abandonner en laissant le balai faire le travail à sa place... Malheur à celui qui rêve et qui laisse le réel lui échapper?

    Le poème de Goethe comme le film de Disney interroge ce vieux rêve humain: et si les objets, les machines, pouvaient un jour faire notre travail, nous affranchir de cette malédiction divine?

     

     


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